Le 3 juin 1985, Duane Barry dormait dans son lit lorsque des extraterrestres sont descendus chez lui et l’ont emmené à bord de leur vaisseau spatial. Sur place, ils lui ont pratiqué des opérations médicales. Mais ce n’était pas la première fois que Duane était enlevé : lorsque les extraterrestres entrèrent dans sa chambre, il s’écria : « Pas encore ! » Des années plus tard, après s’être échappé d’un établissement psychiatrique, Duane a kidnappé l’agent du FBI Dana Scully, l’offrant à ses ravisseurs extraterrestres pour se sauver d’un autre enlèvement. C’est un moment monumental dans Les X-Files, et il est tout à fait approprié que l’arc en deux épisodes de 1994 s’ouvre dans ma ville natale, Pulaski, en Virginie. Les thèmes de méfiance et d’aliénation des épisodes reflètent la réalité de Pulaski. Duane Barry personnifie la vulnérabilité d’une ville prise dans un tissu de complots.

Un ancien bâtiment d’usine d’acide à Pulaski, en Virginie. Toutes les photos de l’auteur.

Comme celle de nombreuses petites villes des Appalaches, l’histoire de Pulaski est marquée par des promesses industrielles et des trahisons d’entreprises. Les exploitations minières et les usines de fabrication sont arrivées en ville avec la promesse de prospérité mais laissent finalement derrière elles des propriétés dévastées et une contamination environnementale. La plus célèbre d’entre elles à Pulaski était l’usine d’acide (anciennement appelée Allied Chemical) qui produisait de l’acide sulfurique de 1904 à 1968. L’usine était entourée de mystère depuis ses débuts. En 1905, un correspondant du Expédition des temps de Richmond a écrit:

…[the acid plant] est entouré aussi efficacement que s’il était gardé par un dragon à cent têtes, comme la toison d’or de la mythologie antique, ou par un ange avec une épée à deux tranchants. Les visiteurs ne sont pas admis, et aucun membre de la confrérie des journaux n’a jamais réussi, par crochet ou par escroc, à franchir les portails sacrés ou à extraire de ses fonctionnaires plus qu’un atome d’informations sur son fonctionnement et le volume de ses affaires.

L’utilisation par l’auteur du journal d’images mythologiques a capturé le sentiment de mystère entourant la plante. Un an seulement après son ouverture, l’usine d’acide se demandait ce qui se passait exactement derrière ses portes bien fermées.

L’élément le plus particulier de l’héritage de l’usine est un sous-produit de scories (c’est-à-dire des déchets solides) créé lors de la production d’acide sulfurique. Les habitants appellent ces scories « poussière de griffonnage » et s’inquiètent de leurs dangers potentiels depuis des décennies. En 1937, les habitants de Pulaski ont poursuivi la General Chemical Company (la société mère de l’usine d’acide) et ont fait valoir que la poussière de griffonnage stockée à l’extérieur de l’usine contaminait leurs terres agricoles, réduisant ainsi les taux de fertilité. Au cours du procès, les représentants des usines d’acide ont eu recours à une stratégie consistant à tout nier. Le contremaître de l’usine a témoigné qu’ils n’avaient jamais vendu de poussière de griffonnage à d’autres entreprises, mais un reçu de 1926 montrait que l’usine vendait des scories à Pulaski Iron Co. Les plaignants ont vu de leurs propres yeux la contamination par la poussière de griffonnage, mais leurs inquiétudes ont été rejetées comme invraisemblables. Même certains témoins de la défense (d’autres agriculteurs locaux) ont corroboré les témoignages des plaignants lors du contre-interrogatoire. Malgré ces preuves, le tribunal s’est prononcé en faveur de l’usine d’acide.

Peak Creek à Pulaski, Virginie.

En 1983, sept ans après la fermeture de l’usine, l’Environmental Protection Agency (EPA) a enquêté sur la contamination par la poussière de griffonnage. L’EPA a prélevé des échantillons à Peak Creek (la principale voie navigable de Pulaski), à un tas de scories et à d’autres endroits et a trouvé des niveaux élevés de métaux lourds. Après avoir bouché le site et en avoir limité l’accès à la fin des années 1980 pour arrêter la contamination, lorsque le US Fish and Wildlife Service a prélevé de nouveaux échantillons en 1999, l’agence a constaté que la terre et l’eau étaient encore riches en métaux lourds. En 2000, les chercheurs n’ont trouvé aucune vie autre que des insectes résistants aux métaux lourds dans le ruisseau proche du site. En 2019, il existe encore des niveaux élevés de métaux lourds en ville, en particulier dans les endroits où étaient autrefois stockés des tas de poussière de griffonnages.

Ces circonstances ont sans aucun doute contribué au scepticisme des habitants de Pulaski à l’égard de l’industrie et du gouvernement. Aujourd’hui, ces sentiments sont prédominants dans les discussions communautaires concernant une odeur mystérieuse et putride qui étouffe certaines parties de la ville. Certains accusent le système d’égouts décrépit ; d’autres soutiennent qu’il s’agit de l’utilisation de produits chimiques et du ruissellement d’une usine de fabrication voisine. Il existe une tension pour les travailleurs des villes manufacturières et minières – les industries qui nuisent à vous et à votre terre nourrissent également votre famille. Les travailleurs doivent conclure un accord tacite avec les industries : vous pouvez construire votre usine ici et polluer nos terres si vous nous fournissez des emplois et des avantages sociaux. Pendant ce temps, le gouvernement se montre souvent dédaigneux ou négligent lorsqu’il s’agit de demander des comptes aux entreprises. La plante acide est un microcosme de ce cycle de promesses et de trahisons.

Tout au long de ses deux épisodes, Duane lance des appels répétés et désespérés à l’honnêteté. Son comportement erratique découle d’un désir profond d’être entendu. Il ne prend pas d’otages et ne kidnappe pas Scully parce que c’est un homme violent ; il le fait parce qu’il cherche désespérément à résoudre des années de douleur. En tant qu’ancien agent du FBI, Barry connaît les efforts déployés par le Bureau pour apaiser un suspect. Malgré cela, il fait confiance avec hésitation à l’agent du FBI Fox Mulder, qui finit par le trahir comme tous les agents institutionnels avant lui.

Duane Barry est le symbole des dommages collatéraux infligés par des intérêts puissants. Ses traumatismes personnels reflètent les problèmes socio-économiques et environnementaux plus larges de notre ville. Alors que les industries obscurcissent les vérités et que les agences gouvernementales interviennent à peine, le sentiment d’aliénation et de scepticisme décrit dans les épisodes de Duane n’est que trop familier. Lorsque Duane implore l’honnêteté, il fait écho à des milliers de personnes qui exigent des réponses de la part de ceux qui polluent leur corps et leurs terres. Imprégnée de la lueur étrange des rencontres extraterrestres et des conspirations gouvernementales, l’histoire de Duane est une allégorie poignante, résumant l’esprit indomptable nécessaire pour naviguer dans l’ombre des industries exploiteuses et d’un gouvernement négligent dans une ville de montagne comme Pulaski.

Les routes de Pulaski, en Virginie.

Amanda Burroughs est instructrice adjointe en sociologie à l’Université de Radford et doctorante en sociologie à Virginia Tech. Elle étudie l’économie politique des petites villes de montagne, notamment du sud-ouest de la Virginie. Ses recherches de thèse portent sur les impacts des campagnes de revitalisation économique dans les Appalaches.